mardi 23 septembre 2008

T comme Transparence

Ce qu'il convient d'appeler les affaires « Edvige » et « Bernard Tapie » défraient la chronique par l'incroyable mépris qu'elles adressent respectivement au citoyen et au contribuable.

La première, parce qu'elle porte atteinte aux libertés individuelles les plus élémentaires, comme la liberté d'opinion de façon engagée, puisqu'elle considère toute personne de plus de 13 ans « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif » comme « susceptible de troubler l'ordre public », c'est-à-dire, au fond, comme un délinquant en puissance, nécessitant de surcroît d'être « fiché » par les Renseignements généraux.

La seconde, parce qu'elle octroie la bagatelle de 390 millions d'euros (285 ME + 105 ME d'intérêts) à Bernard Tapie en-dehors de toute instance judiciaire classique, alors même que la Cour de cassation a annulé en octobre 2006 un arrêt de la Cour d'appel de Paris lui accordant 135 millions d'euros, et alors que chaque Français lutte quotidiennement pour conserver un peu de pouvoir d'achat et pour payer les intérêts de la gigantesque dette publique que nos dirigeants ont contractée sans pour autant investir pour notre avenir.

La lenteur de la Justice étant insupportable pour Monsieur Tapie, la Ministre de l'Economie et des Finances a donné son accord pour qu'un traitement plus rapide de cette affaire soit réalisé à travers un tribunal arbitral. Ceci au mépris des milliers de citoyens qui, eux aussi, subissent, de façon dramatique parfois, la lenteur de notre Justice, et qui ne peuvent bénéficier d'un traitement aussi favorable. Sans parler des contribuables, qui, eux, vont payer la note tout de suite.

Au-delà du fond de ces dossiers, je voudrais interpeller le lecteur sur la forme, et en particulier sur le manque de transparence qui les caractérise. Ainsi, le fichier « Edvige » a été créé par simple décret, paru au Journal officiel le 1er juillet suite à insistance de la CNIL, sans aucun débat préalable.

Il serait passé complètement inaperçu si Corinne Lepage et d'autres personnalités, ainsi que syndicats et associations, ne s'étaient pas massivement mobilisés (100 000 pétitions signées en plein mois d'août !).

De même, les représentants des contribuables, en premier lieu desquels les députés, n'ont manifestement pas eu leur mot à dire sur la nomination d'un tribunal arbitral pour statuer sur « l'affaire Bernard Tapie », et il n'est d'ailleurs pas certain qu'ils aient été avisés avant cette prise de décision.

L'absence de transparence est un mal que l'on retrouve sur de nombreux sujets, et qui porte gravement atteinte au climat de confiance pourtant si nécessaire au bon fonctionnement d'une société (cf. l'article « la confiance : valeur-clé du contrat social » publié en février).

Dans l'entreprise, les managers savent que « la confiance n'exclut pas le contrôle ». Confiance et transparence sont intimement liés. Rendre des comptes sur son action ou sur sa comptabilité est tout bonnement une exigence démocratique !

Dans l'actualité de ces derniers mois et de ces derniers jours, un appel à la transparence s'est exprimé de maintes façons :

Transparence des comptes et du financement des syndicats, tant de salariés que patronaux, notamment suite au scandale de l'UIMM (un projet de loi pour une meilleure transparence des syndicats a été déposé par le député Yves Cochet en février dernier) ;

Transparence de l'information sur les incidents et dysfonctionnements survenus et découverts cet été sur les lieux d'activité nucléaire du Tricastin et de Romans-sur-Isère, et sur leurs risques associés ;

Transparence dans la préparation actuelle de redécoupage des circonscriptions électorales en vue des prochaines élections législatives, dont le pilotage a été confié à Alain Marleix, secrétaire national des élections au sein de l'UMP...

La transparence n'est pas seulement nécessaire au bon fonctionnement démocratique : elle l'est aussi au bon fonctionnement de notre économie. Outre les dérives de la « financiarisation » à outrance de notre système capitaliste actuel, c'est bien le manque de transparence et de contrôle qui a nourri les grandes crises financières récentes : dans les années 1990, les banques occidentales ont octroyé des prêts à court terme aux banques asiatiques pour financer l'aide au développement. Mais celles-ci s'en sont servi pour proposer des prêts à long terme aux consommateurs. C'est cette utilisation usurpée et non contrôlée (non régulée...) qui a provoqué la crise de 1997 ...

En 2001, les manipulations de cours et de bilan orchestrées par l'entreprise Enron, assorties de fausses certifications de compte par le cabinet Arthur Anderson, ont généré une autre crise financière de grande ampleur. Et qu'est-ce que la crise des "subprimes" si ce n'est une crise de la transparence ?

Les banques américaines ont accordé des prêts immobiliers à des personnes non solvables, et ont vendu ensuite ces créances à d'autres banques, qui croyaient acheter des placements sûrs puisque notés « AAA » par les agences de notation...

Tout comme l'exemplarité et la confiance, dont nous avons déjà parlé sur ce blog, la transparence est à mon sens l'un des principes de fonctionnement et de comportement sur lesquels doit s'appuyer le nouveau modèle économique, politique et social qu'il est nécessaire de bâtir et de mettre en oeuvre si nous voulons surmonter la crise écologique déjà engagée et garantir la sécurité alimentaire, un niveau de vie mimimum et un sentiment de bien-être pour le plus grand nombre de personnes.


Lionel Lacassagne

Sources et crédits
Legifrance
Le Monde
Ministère de l'Intérieur
La Libre Belgique
Challenge
Assemblée Nationale
Le Figaro
Euractiv
Le Point